Les modèles de prospective énergétique sont des outils essentiels pour explorer différents scénarios de transition énergétique, évaluer les impacts de politiques sur l’énergie et le climat, favoriser le débat public et accompagner les décideurs dans la planification des politiques, des investissements ou des infrastructures nécessaires pour atteindre des objectifs spécifiques comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils présentent toutefois certaines limites. Ils dépendent de données qui peuvent être incomplètes, leur approche est centrée sur les émissions de CO2 et non sur les autres impacts environnementaux, ils n’intègrent pas de scénarios de crise ou des évolutions perturbatrices, ils tiennent difficilement compte des répercussions des interactions entre les échelles globales et locales, et sont difficilement utilisables par des non spécialistes.
Dans ce contexte, le projet DyMod, coordonné par Sandrine Mathy (CNRS - GAEL) et Andriamasinoro Fenintsoa (BRGM), vise à élaborer des modèles dynamiques de la demande et de l'offre en ressources du sous-sol (géothermie, stockage de gaz, utilisation de l’espace souterrain, ressources minérales) pour les besoins français à l'horizon 2050.
Il s’agit de développer des modèles capables :
- De prendre en compte les spécificités locales des régions considérées, de faire le lien avec des scénarios d'évolution nationale, et de les replacer dans une évolution mondiale ;
- D’intégrer des impacts environnementaux autres que les émissions de CO2 ;
- De simuler des évolutions tendancielles ou de rupture en termes technologiques et sociales, ou des crises ;
- D’inclure des processus de décision à court terme impliquant des acteurs aux intérêts variés.
Estimer la demande en ressources souterraines pour différents scénarios énergétiques à l’horizon 2050
Un premier travail consiste à coupler des modèles existants, dont les scénarios sont notamment utilisés par le GIEC, pour estimer la demande future en ressources du sous-sol. L’équipe prévoit de coupler des modèles prospectifs (POLES, modèle de simulation, et TIMES, modèle d’optimisation) avec le modèle biophysique MATER pour estimer la dynamique des prix des matières premières en fonction de leur consommation cumulée, et estimer les besoins nationaux en matières premières et secondaires. Au-delà, un enjeu est d’intégrer des impacts environnementaux autres que les émissions de CO2, comme la consommation d'eau, dans les modèles prospectifs POLES et TIMES, de manière à produire des scénarios minimisant les impacts environnementaux de scénarios de transition énergétique bas carbone.
Régionaliser la demande et les capacités de production locales
La régionalisation des modèles est un véritable défi. Elle doit prendre en compte les spécificités locales telles que les potentiels d'énergie renouvelable, le relief, la disponibilité et la nature du sous-sol, les caractéristiques socio-économiques (potentiel industriel, voies de transport et de communication, production énergétique actuelle, urbanisme, densité de population, bassin d'emploi, etc.), ainsi que d'autres dimensions culturelles, réglementaires et de capacité d'investissement.
Deux difficultés majeures sont identifiées :
- Pour ce qui est de la modélisation de la demande au niveau local, et donc de l'évolution des infrastructures, il n'est pas certain que les fonctions logistiques usuellement utilisées pour modéliser les saturations des infrastructures et équipements en fonction du PIB/habitant, et validées aux niveaux nationaux, soient utilisables au niveau infranational.
- D'autres variables sont potentiellement nécessaires pour reproduire les tendances historiques observées à l'échelle régionale. Ces variables pourraient être les températures moyennes et extrêmes qui influencent le type de construction et le degré d'isolation, le relief qui influence le développement des villes et des voies d'échange, ou d'autres paramètres qui doivent être identifiés. L’évaluation des potentiels locaux de production et des flux interrégionaux potentiels, donneront lieu à un travail de recueil de données pour une sélection de matières premières (évolution historique des potentiels géologiques, taux de concentration, budgets dédiées à l’exploration).
Au moins deux régions seront étudiées, l'Occitanie en collaboration avec le projet Massif Central du programme Sous-sol, bien commun, et éventuellement le Bassin parisien ou le Fossé rhénan en fonction des données disponibles.
L'objectif final du travail de régionalisation est de coupler la dynamique de la demande avec des systèmes d'information géographique incluant les infrastructures de transport (matériel, énergie), les infrastructures urbaines, la disponibilité locale des ressources et des énergies renouvelables, et les potentiels d'accès au sous-sol. Cela permettra d’estimer les écarts entre l'offre et la demande en vue d’analyser l'éventuelle indisponibilité de certaines matières à l’avenir en raison de contraintes économiques, et de créer des boucles de rétroaction pour étudier les mécanismes de substitution de la demande vers d'autres matières disponibles.
Créer un jeu de rôle et un jeu vidéo en support à un débat entre acteurs
L’équipe souhaite également intégrer l’impact des comportements d’acteurs (citoyens, industriels, décideurs, …) aux positionnements et aux intérêts possiblement divergents, et s’appuiera pour cela sur les travaux du projet ciblé ANTICIP du PEPR Sous-sol, bien commun dont un des objectifs est d’identifier les acteurs impliqués et leurs enjeux spécifiques.
Ces différents agents seront intégrés dans le modèle développé selon leur structure et leurs décisions, à travers la méthodologie des modèles à base d’agents (ABM pour agent based model). Il s’agit également d’intégrer la géographie et les ressources locales de régions d'intérêt (outils SIG pour localiser les mines, les surfaces accessibles et impactées, la densité de population, les infrastructures de transport, la disponibilité de l'eau, etc.).
Le modèle ABM sera tout d’abord destiné aux chercheurs, puis associé à un volet ludique destiné aux parties prenantes pour leur permettre d'explorer et d'analyser les conséquences de leurs décisions sur les trajectoires. Il s’agira alors de créer sur cette base des jeux de rôle et jeu vidéo pour aider à mieux comprendre le métabolisme socio-économique (correspondant à l'ensemble des flux de matières et d'énergies au sein d’une société) et à servir de support à un débat entre acteurs.
La réunion de lancement du projet, organisée le 11 juin 2024 à l’École polytechnique, fut l’occasion de présenter les travaux prévus et de favoriser les échanges entre les membres du projet et les partenaires, notamment sur les enjeux de régionalisation des scénarios et les objectifs des jeux, afin de bien démarrer les travaux.

Une partie des membres du projet et des partenaires réunis lors de la réunion de lancement
© PEPR Sous-sol, bien commun