Située au nord-est du continent sud-américain, la Guyane est le deuxième département français le plus vaste (84 000 km2) et est recouvert à 94% de forêt équatoriale, abritant une biodiversité très riche. Bien que la population de ce territoire soit caractérisée par la plus faible densité des territoires français, son taux de croissance est l’un de plus élevés. Elle est principalement regroupée sur le littoral, une bonne partie de l’intérieur des terres n’étant accessible que par voie aérienne ou fluviale.
Ces caractéristiques sociologiques et géographiques engendrent des représentations très variées du sous-sol et rendent plus complexe le développement d’usages co-construits avec les populations du territoire, alors même que les activités liées au sous-sol sont en Guyane un sujet sensible au regard de la richesse de ses ressources, de sa fragilité et des multiples services qu’il assure.
Les besoins spécifiques d’un territoire
Bien que le sous-sol du territoire guyanais soit reconnu pour sa richesse en certains minerais, la géologie de ce territoire reste largement méconnue. Certaines spécificités de ce territoire (couvert forestier dense, biodiversité exceptionnelle et fragile, mosaïque culturelle, fragilité économique), tendent à exacerber les enjeux associés aux activités d’exploration et d’utilisation des ressources du sous-sol.
Alors que ce territoire concentre les principales activités minières légales de France, il reste assez pauvrement doté en activités industrielles diversifiées. L’industrie minière pourrait dès lors représenter l’unique modèle d’industrie économiquement viable et le sous-sol, être vu comme une simple ressource perçue au travers d’un prisme économique. Ceci non sans influence sur l’évolution des activités illégales et l’orpaillage en particulier qui est prédominant dans les impacts négatifs de l’exploitation du sous-sol guyanais.
La présence d’intermédiaires facilitant la prise de recul et les relations entre tous les groupes impliqués dans les activités liées au sous-sol, semble alors être une démarche adéquate pour prévenir les positions antagonistes entre les représentants des multiples usages et services rendus par du sous-sol.
Le sous-sol, un bien commun à construire.
Pour dépasser et enrichir une relation au sous-sol focalisée sur l’extraction de ses ressources minérales, le projet GOYAVES travaillera sur 4 thématiques :
- La mise à jour des connaissances sur le sous-sol, les écosystèmes et l’occupation humaine de l’ensemble du territoire.
- Les usages et les représentations du sous-sol à travers les enjeux territoriaux et sociaux et via le concept de « geodiversité ».
- La co-construction, entre scientifiques et populations, de trajectoires d’évolution de la valorisation ou de la protection du sous-sol compatibles avec les enjeux locaux.
- La conservation des relations mises au jour entre le sous-sol et ses écosystèmes sociaux.
Pour cela, le projet GOYAVES a d’ores et déjà identifié plusieurs sites pilotes qui rassemblent ou confrontent différents enjeux entre le sous-sol et les sociétés qui lui sont rattachés. Parmi ces sites, une large gamme de relations pourra être finement analysée pour révéler les ressorts les plus pertinents à la mise en place d’une dynamique de co-construction et aboutir à une vision commune du sous-sol comme bien commun.
Quelques exemples de confrontation d’enjeux rattachés à des sites pilotes identifiés :
- Île de Cayenne : intérêt géo-patrimonial, pression de l’expansion urbaine, risques naturels (glissements de terrain).
- Cacao-Boulanger : agriculture Hmong, mines d’or légales et illégales, déjà des études en cours sur la pédologie et le mercure.
- St-Laurent-du-Maroni : intérêt géologique et pédologique, forte pression démographique, lien avec le projet avorté Montagne-d’Or.
Des bases de données à créer ou à mettre à jour
Les cartes géologiques actuelles du territoire guyanais représentant l’état des connaissances jusqu’au début des années 2000. Elles ne correspondent plus aux enjeux actuels concernant l’utilisation des ressources et l’aménagement du territoire
Un travail important de mise à jour et d’homogénéisation sera mis en œuvre afin de compiler les données les plus récentes sur les plans géologiques, hydrographiques, géophysiques et topographiques.
Parallèlement à ces données issues de mesures physiques, un travail historiographique et d’archivage sera mené sur les données géo-historiques relatives à l’évolution du rôle attribué au sous-sol guyanais par les décideurs publics, de 1850 à nos jours. L’analyse de ces données sociétales (démographiques, économiques, sociologiques, écologiques, historiques) permettra de comprendre l’évolution au cours du temps des relations entre sous-sol et société en Guyane.
Fonctions, bénéfices et usages sociaux du sous-sol
Considérer le sous-sol comme un bien commun, une ressource partagée qu’il faut cogérer, implique de connaître précisément ses caractéristiques ainsi que son intégration dans un système socio-écologique bien plus large. À travers la mobilisation du concept de « géodiversité », équivalent non-vivant de la biodiversité, il sera possible de s’intéresser à la large palette de fonctions que le sous-sol peut fournir aux sociétés humaines, au-delà du seul approvisionnement en ressources minérales.
Néanmoins, ces fonctions peuvent être perçues de manières différentes selon les parties prenantes considérées. Plusieurs groupes sociaux peuvent avoir en parallèle des relations fortes au sous-sol de leur territoire. Pour autant, chacun de ces groupes peut avoir des usages du sous-sol qui peuvent sembler antinomiques ou conflictuels, avec, au sein même de ces catégories d’usages, des savoirs spécifiques potentiellement très anciens, qui sont liés au caractère légal ou non des activités.
Cette mosaïque complexe de populations et d’usages du sous-sol qui s’entrecroisent, donnera lieu à une analyse approfondie des stratégies des différents usagers du sous-sol, permettant d’identifier et de catégoriser, pour chacun, son rapport à la ressource, sa perception de la géologie, des techniques et savoirs impliqués. De plus, puisque que chaque groupe d’acteurs déploie ses propres stratégies de planification, un travail d’analyse des récits utilisés pour légitimer leurs actions sera mené, à partir des relations entre les images et les textes et leurs évolutions.
Ce travail de recherche sociogéographique, assisté par des outils d’intelligence artificielle, permettra de révéler des éléments communs entre tous ces groupes d’acteurs et de développer une pratique de co-construction unique basée sur cette variété de représentations, pour aboutir à une compréhension partagée des enjeux liés à l’utilisation d’un espace commun.

Visite de la carrière du Galion, à proximité de Cayenne (Guyane, juin 2018).
© BRGM - Bénédicte Pesset
La société guyanaise et son sous-sol en 2040
La reconnaissance des éléments clés de la relation de chaque groupe de la société guyanaise avec son sous-sol, et l’histoire de cette relation sur plusieurs siècles, permettra d’imaginer des projections de son évolution dans les décennies à venir, à l’aune des besoins et ressources identifiées.
Des scénarios prospectifs sur les trajectoires possibles d’évolution de cette relation à l’horizon 2040 seront co-construits avec des représentants des groupes d’acteurs impliqués. Cette méthodologie de co-construction de scénarios inclura différentes étapes :
- Écrire les scénarios :
- Travail de synthèse des productions scientifiques et expérimentations à l’échelle internationale ainsi que des scénarios précédemment envisagés pour la Guyane,
- Construction avec les populations et simulations informatiques.
- Construire un outil d’évaluation des scénarios sous forme de jeux sérieux
- Travail de simulation informatique et via un jeu de plateau,
- Intégration des savoirs issus de travaux connexes.
- Délibérer sur les scénarios pour comprendre le positionnement de toutes les parties impliquées.
- Organisation d’ateliers participatifs,
- Mise en œuvre de jeux de rôles permettant à toutes les parties d’incarner les enjeux et contraintes des autres.
Une approche sensible de la relation entre les populations et leur sous-sol
Le projet GOYAVES place les relations et les sociétés humaines au centre de son approche. Cette approche, innovante pour un tel objet d’étude, tend à produire une grande quantité, non seulement de résultats scientifiques, mais également de ressources documentaires historiques, voire artistiques à propos des populations locales, de leurs histoires et traditions.
Cette base de données unique sur la société guyanaise sera valorisée au profit de la population locale, via la conservation des matériaux de recherche et des résultats. La société guyanaise dans son ensemble pourra accéder aux éléments-clés qui auront été identifiés comme facteurs communs dans les rapports au sous-sol de nombreux groupes sociaux dont les relations sont parfois marquées par des tensions.