Une étude publiée récemment dans Resources, Conservation and Recycling offre de nouvelles perspectives quant à l’approvisionnement de l’Union européenne en matériaux nécessaires à la fabrication de batteries pour les véhicules électriques. Ce travail, mené par Jana Husmann (Technical University of Braunschweig) au sein d’une équipe scientifique Franco-Allemande, a impliqué plusieurs scientifiques de la Direction Ressources Minérales du BRGM qui travaillent dans le programme de recherche Recyclage et Daniel Monfort, co-responsable du projet « Prévision technique et économique » (TAEF - Technical and economic foresigh) du programme Sous-sol, bien commun, qui a pu apporter son expertise en traçabilité des matières premières et mobilisation des ressources recyclées.
3 avril 2025

Dans un contexte de transition vers l'électromobilité, la demande en matières premières pour les batteries augmentera considérablement et certaines matières premières pourraient connaître des pénuries temporaires, car la capacité de production minière ne peut être augmentée rapidement.

Les stratégies d'économie circulaire, comme le recyclage, le réemploi ou le co-voiturage, semblent donc constituer un moyen efficace pour réduire la dépendance aux chaînes d'approvisionnement internationales, mais cela nécessite des prévisions concernant à la fois l'offre et la demande, ce qui représente un défi à l'échelle européenne.

L'Union européenne et les états ont déjà accès à des données pertinentes. En France par exemple, l'OFREMI mène un travail prospectif concernant les ressources minérales et a publié en décembre 2024 une étude sur les besoins en matériaux critiques des batteries pour la mobilité électrique française.

L'étude présentée ici visait à déterminer, à l’échelle européenne, les facteurs clés pouvant influencer l'approvisionnement en matière première dans la « mine urbaine » européenne pour la fabrication des batteries destinées aux véhicules électriques.

Stockage de voiture endommagées avant destruction

Stockage de voitures endommagées avant destruction.

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Mines urbaines

Outre la relocalisation de certaines activités en Europe, le concept de « mine urbaine » permet d’envisager le développement d’une économie circulaire qui associe recyclage, circuits d’approvisionnement raccourcis, potentiel de réduction des impacts environnementaux et optimisation de la gestion des déchets.

En effet, une mine urbaine désigne globalement la récupération de matières premières à partir de déchets d’origine anthropique (appareils électroménagers, bâtiments, équipements électroniques, etc.) pour les réutiliser ou les recycler, offrant ainsi une alternative écologique à l'extraction de ressources naturelles primaires.

Concernant les batteries des véhicules électriques, l’enjeu est d’autant plus important que l’approvisionnement des matières premières concernées est susceptible d’être perturbé dans les décennies à venir. Réorienter une partie de l’approvisionnement vers le recyclage permettrait de : 

  • Sécuriser l'approvisionnement en matériaux pour la transition énergétique.
  • Réduire la dépendance aux importations de matières premières.
  • Diminuer l'impact environnemental de la mobilité électrique.

Un potentiel européen en développement

La législation européenne inclut deux outils réglementaires principaux permettant de réduire la dépendance aux matières premières extra-européennes :

Le règlement européen relatif aux batteries et aux déchets de batteries vise à limiter l'empreinte carbone des batteries et l'utilisation de matières premières provenant de pays hors UE. Il impose des objectifs à différents horizons, tels que :

  • Le pourcentage de collecte des déchets.
  • Les proportions de récupération des différents métaux.
  • Le taux de métaux recyclés contenus dans les nouvelles batteries.
  • Divers critères de durabilité et de sécurité.

La loi sur les matières premières critiques vise à renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement européennes, avec 5 piliers principaux :

  • Définition des matières critiques et stratégiques.
  • Développement des capacités européennes de production minière, de recyclage et de raffinage des métaux.
  • Amélioration de la résilience par le suivi des stocks stratégiques.
  • Investissement dans la recherche et l'innovation.
  • Promotion du recyclage.

La méthode utilisée

La méthodologie d'analyse des flux de matières (Material Flow Analysis - MFA) intégrant de multiples scénarios et des analyses de sensibilité, est largement utilisé par les communautés scientifiques travaillant en sciences de la terre, en particulier au BRGM qui dispose d’une forte expertise dans ce domaine. Cette méthode est utilisée pour évaluer les durées de vie et le taux de perte de métaux dans l’économie par exemple, et s’avère particulièrement pertinente pour évaluer les flux potentiels de matériaux issus de l'économie circulaire des batteries.

L'objectif de cette étude prospective est double :

  1. Identifier les principaux leviers permettant d'exploiter le potentiel de la mine urbaine pour l'approvisionnement en matières premières de batteries (Lithium, Nickel, Cobalt, Manganèse et Graphite) dans l'UE.
     
  2. Améliorer la transparence des flux de matériaux en distinguant :
    • Les matériaux recyclés issus des déchets de production des batteries.
    • Ceux provenant des batteries en fin de vie.
    • Le nombre de cycles de recyclage effectués.

L'étude analyse également la faisabilité des objectifs réglementaires de contenu recyclé fixés par l'UE pour les batteries.

Les scénarios

Cette étude propose plusieurs scénarios possibles ou souhaitables, dont certains portent une vision très optimiste du déploiement de l’économie circulaire. 

Ce scénario est aligné avec l’objectif de la neutralité des émissions à gaz à effet de serre. Les batteries de type NCX[1] dominent le marché.  Les batteries usagées deviendraient ensuite une source importante de matériaux à partir de 2042. Il prévoit une augmentation de la demande pour les cinq principales matières premières jusqu'en 2032, puis une diminution liée à l'augmentation du recyclage des déchets de fabrication.

[1] Dénomination rassemblant les types de batterie Lithium-Nickel-Manganese-Cobalt-Oxide (NMC), et Lithium-Nickel-Cobalt-Aluminium-Oxide (NCA).

Celui-ci s’aligne avec les objectifs du scénario de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) des Politiques Déclarées (STEPS). La batterie de type NCX domine le marché dans l’UE.

Scénario 3 : prolifération des batteries LFP (lithium-fer-phosphate) qui domineraient le marché européen, dominé auparavant par les batteries de type NCX.

Scénario 4 : introduction des batteries SSB (Solid-state battery - Batterie à l'état solide) dans le marché européen à partir de 2035. 

À partir de 2035, la mobilité partagée réduirait la demande de matières premières de 26 à 54% d'ici 2050, rendant la mine urbaine européenne potentiellement autosuffisante.

Basé sur les objectifs du règlement européen, avec des taux progressifs pour 2027 et 2031, visant 90% de collecte des batteries en fin de vie à partir de 2030.

Les stratégies de seconde vie peuvent retarder la fin de vie des batteries et donc la disponibilité des matières secondaires, prolongeant la dépendance aux chaînes d'approvisionnement primaires, mais en réduisant la demande également.

Batterie de voiture au lithium-ion usagée avant sa réparation.

Batterie de voiture au lithium-ion usagée avant sa réparation.

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Des projections encourageantes
 

Atteinte des objectifs politiques

Les objectifs de contenu recyclé fixés par la réglementation européenne sur les batteries pour 2031 et 2036 peuvent être atteints dans presque tous les scénarios, sauf pour le cobalt dans le scénario de seconde vie des batteries, qui retarde l’arrivée des batteries en fin de vie pour le recyclage.

Dépendance à la production des batteries en Europe

Les scénarios prennent en compte les capacités de recyclage et de production des batteries par les méga-usines en Europe. La production des batteries génère des rebus de fabrication qui sont recyclés par la suite. Ces rebus de production de batteries sont une ressource indispensable pour atteindre les objectifs européens de recyclage. Autrement dit, le recyclage nécessite une industrie manufacturière des batteries en Europe pour fonctionner. 

Repenser les choix technologiques

Le choix des technologies de batteries influence fortement la demande en matières premières. L'adoption de technologies alternatives, comme les batteries LFP (lithium-fer-phosphate) ou les batteries à l’état solide (SSB), pourrait réduire la dépendance à certains matériaux critiques, notamment le cobalt et le nickel. De plus, la promotion de la mobilité partagée pourrait également réduire la demande totale de batteries, ce qui diminuerait encore la pression sur l’approvisionnement en matières premières. Toutefois, ces changements nécessiteraient des ajustements dans les processus de recyclage pour s’adapter aux nouvelles compositions chimiques des batteries.

Recyclage et réutilisation

Les taux de collecte et de recyclage jouent un rôle clé dans l’approvisionnement en matériaux secondaires. Bien que les réglementations européennes imposent déjà des taux élevés, l’amélioration de ces taux pourrait maximiser l’exploitation du "gisement urbain" européen. L’augmentation de la collecte et du recyclage permettrait de réduire la dépendance aux matières premières primaires, mais nécessiterait des investissements dans des infrastructures de recyclage adaptées et des politiques incitatives.

Qualité des matériaux recyclés

L’un des défis du recyclage des batteries est la qualité des matériaux récupérés. Dans cette étude, il est supposé que les matériaux recyclés ont une qualité équivalente aux matériaux primaires. Cependant, en pratique, les processus de recyclage peuvent entraîner la présence d’impuretés, ce qui pourrait limiter leur réutilisation dans de nouvelles batteries. Cependant, jusqu’en 2050, la proportion de matériaux ayant subi plusieurs cycles de recyclage resterait relativement faible (moins de 6 %), ce qui rend la dégradation de la qualité négligeable à court terme.

Une diminution des besoins envisageable, mais une hypothèse fragile

Cette nouvelle étude prospective nous montre une diminution possible de la demande totale dans tous les scénarios, basée sur deux hypothèses principales :

  1. Une demande stable en véhicules jusqu'en 2050.
  2. Une réduction du taux de déchets dans la production des batteries.

L'approvisionnement en matériaux secondaires dépend de plusieurs paramètres, notamment le taux de déchets de production, les taux de collecte et de recyclage, ainsi que la seconde vie des batteries. La mobilité partagée joue également un rôle important et entraînerait une diminution significative de la demande en matières premières primaires. 

Pour conclure, l’étude montre que l'approvisionnement en matières premières pour la fabrication des batteries ne pourra se passer complètement des sources primaires à moyen terme, mais les politiques industrielles et les comportements de consommation pourraient avoir un impact important. 

D'ici à 2050 les sources de matières secondaires pourraient représenter entre 35% et 99% de la demande totale (selon le matériau et le scénario), dans un système optimisé pour le recyclage, alors qu'un très fort développement de la réutilisation des batteries en seconde vie pourrait aboutir à une situation dans laquelle les objectifs de recyclage de l’UE ne seraient pas atteignables, mais permettrait de réduire significativement la demande en matières premières.
Ces résultats montrent ainsi tout l’intérêt d’études prospectives pour comparer des projets de politiques publiques complexes à grande échelle et fixer des objectifs chiffrés.